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- Il est
intéressant d'approcher la vie du compositeur
français Claude Debussy au travers de
récits rapportés par des amis, des
proches, des musiciens ou simplement par des gens qui
l'ont connu. Les nombreux témoignages
personnels et souvent très
détaillés permettent de découvrir
l'auteur de Pélléas sous un aspect plus
humain en évitant une forme
académique.
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- Debussy
n'était pas seulement connu pour sa forte
personnalité mais aussi pour son
caractère difficile. A coté de l'immense
talent du compositeur et de son oeuvre impressionnante
qu'il nous a laissée, pouvoir le rencontrer au
jour le jour, chez lui, avec ses amis, pendant les
premières répétitions de
Pélléas ou l'exécution d'oeuvres
au piano en privé, est un véritable
privilège. Des anecdotes comme celle de son
mariage avec Lily Texier à Paris - A cet
occasion, Debussy a dû rapidement donner un
cours de piano pour payer le petit "voyage de noce" au
jardin des plantes puis un déjeuner nuptial
avec quelques amis - ou encore les visites à
son domicile, rue Cardinet, sont restées dans
beaucoup de mémoires. Sa femme armée
d'un balai qui ne laisse pas rentrer un
étudiant sollicitant un entretien avec Debussy,
ou Maeterlinck qui venait le réprimander en
raison d'un désaccord sur le choix d'une
chanteuse. Les propos si touchant de Mary Garden, la
première interprète de Mélisande,
qui décrit l'ambiance de cette demeure
extrêmement ordonnée comme le bureau de
travail de Debussy sur lequel les objets ne
changeaient jamais de place.
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- Autant de petites
choses, de petits détails qui permettent de
ramener le génie à une dimension humaine
et qui sans aucun doute sont autant de clefs pour
comprendre comment Debussy en est arrivé
à composer une musique si nouvelle.
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- C'est l'approche
que nous avons choisie pour réaliser notre film
sur Claude Debussy qui pourrait être
intitulé: "Claude Debussy vu par ses
contemporains". Le film se construira sur des
témoignages, en voix off, qui nous
amèneront à évoquer toutes les
grandes étapes de sa vie ainsi que les oeuvres
les plus représentatives de son travail. Nous
éviterons la structure chronologique ainsi que
l'utilisation d'un commentaire tant les
témoignages sont nombreux et
détaillés.
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- Debussy
lui-même n'était pas avare de
confidences. Ses nombreuses lettres et son ouvrage "M.
Croche" viendront également étoffer le
contenu rédactionnel de notre film.
L'évocation par exemple de la scène du
pont des Arts à Paris où Debussy
attendait le résultat du prix de Rome et qui
disait: "Que l'on me croit ou non, je puis nettement
affirmer que toute ma joie tomba! Je vis nettement les
ennuis, les tracas qu'apporte fatalement le moindre
titre officiel. Au surplus, je sentis que je
n'étais plus libre". Un document qui marque
déjà le désir de Debussy voulant
se détacher du conformisme.
-
- Sur le registre de
son indépendance, un camarade de classe de
composition au conservatoire rapporta que César
Franck lui disait "Mais il faut moduler. Modulez,
modulez donc". "Mais pourquoi modulerais-je, s'obstine
Debussy, puisque je me trouve très bien dans
cette tonalité". Un autre professeur lui
demandait un jour quelles règles il suivait
quand il écrivait ses cascades d'accords
inhabituels: "Je veux rien atteindre de particulier,
je m'adonne simplement à mon bon
plaisir".
-
- Debussy disait
souvent que la musicalité ne s'apprend pas. Sur
son goût artistique, une de ses
élèves de piano disait: "Debussy avait
un goût naturel très sûr,
très raffiné et il adorait ce qui
était beau. Les antiquités lui
plaisaient; il faisait souvent de longues stations
chez un antiquaire, proche de notre maison, avenue
Victor-Hugo, et y laissait en acompte le prix de ses
leçons (au grand désespoir de sa femme,
Lily, qui attendait anxieusement son retour pour
acheter le dîner!). La peinture exerçait
une grande attraction sur lui. Il aimait visiter les
musées, les expositions de tableaux et avait
une prédilection pour les paysages du peintre
scandinave Frits Thaulow et pour Claude
Monet".
-
- Sur le jeune
Debussy il nous reste un témoignage de
Tchaikovsky ayant reçu une photo de Mme de Meck
où il jouait en trio: "Bussy a quelque chose
dans le visage et les mains qui rappelle vaguement
Antoine Rubinstein dans sa jeunesse. Dieu veuille que
son destin soit aussi heureux que celui du "roi des
pianistes".
-
- On dit souvent que
dans une conversation Debussy partait très
rapidement vers l'ironie et l'humour. De son humour un
exemple tiré d'une lettre de Houlgate à
Jacques Durand le 8 août 1906:"Me revoici avec
ma vielle amie la mer; elle est toujours innombrable
et belle. C'est vraiment la chose de la nature qui
vous remet le mieux en place. Seulement on ne respecte
pas assez la mer...Il ne devrait pas être permis
d'y tremper de ces corps déformés par la
vie quotidienne; mais vraiment, tous ces bras, ces
jambes qui s'agitent dans un rythme ridicule, c'est
à faire pleurer les poissons...Dans la mer, il
ne devrait y avoir que des
sirènes...".
-
- Debussy avait
également des cotés très lucides
sur lui-même: "Tout chez moi est instinctif,
irraisonné. Je ne suis pas maître de
tout. On s'obstine, autour de moi, à ne pas
comprendre que je n'ai jamais pu vivre dans la
réalité des choses et des gens,
d'où ce besoin indicible d'échapper
à moi-même dans des aventures qui
paraissent inexplicables parce que s'y montre un homme
que l'on ne connaît pas. C'est peut-être
ce qu'il y a de mieux en moi! D'ailleurs, un artiste
est par définition un homme habitué au
rêve et qui vit parmi des fantômes. L'art
est le plus beau des mensonge". Un document qui
pourrait suggérer un autre titre à notre
film: L'art est le plus beau des mensonge.
-
- Autant de
témoignages parfois à caractère
amusant ici cités en vrac qui jalonneront notre
film dans une trame générale
citée plus bas. Un film donc plein d'histoires
et non pas un cours de musique. Un film, un voyage
où la musique en est l'actrice principale et
où on pénètre fortement
l'atmosphère du début du
vingtième siècle.
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- Sur le plan visuel,
le film présentera des prises de vue de Paris,
le domicile de Debussy rue Cardinet et le quartier
avoisinant de Montmartre, sa dernière demeure
sur l'avenue Foch, l'opéra comique où
fut jouée la première de
"Pélléas et Mélisande" en 1902.
Nous filmerons également à
St-Germain-en-Lay dans la demeure natale de Debussy
où un musée expose la plupart de ses
objets personnels. S'ajouteront à cela des
extraits de films d'époque (Paris en 1900 ou
l'exposition universelle de 1889 où il prit
contact pour la première fois avec l'art de
l'Extrême-Orient) et des photos et manuscrits
originaux. Les extraits musicaux proviendront en parti
de concert filmés, donc avec de temps à
autre l'apparition de musiciens à
l'écran (S. Célibidache, S. Richter, E.
Ormandy, S. Kocsik). Un extrait de
"Pélléas et Mélisande" y sera
également inclus dans une mise en scène
de Peter Stein avec Pierre Boulez au pupitre. Quelques
enregistrements sonores enregistrés sur le
piano mécanique de M. Welte nous donneront un
aperçu du Debussy pianiste (Children's corner,
Prélude pour piano, La plus que lente...) ainsi
qu'un enregistrement de Debussy avec Mary Garden
datant de 1904.
- © Georges
Gachot / Metropolitan Zurich le 9 avril
1999
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